Un « Vin de merde » contre les idées reçuesLa cuvée de Jean-Marc Speziale veut se poser en soutien aux vignerons et balayer les idées reçues
Il ne faut jamais rien réduire à une simple étiquette. La cuvée lancée par le restaurateur anianais Jean-Marc Speziale en est l'éclatante illustration. Parce qu'avec un nom pareil, "Le vin de merde", son rouge et son rosé pourraient en rebuter plus d'un.
Et pourtant, une fois les lèvres trempées dans l'intriguant breuvage, il n'y a pas à sourciller : rien à voir avec la vinasse. A boire donc au second degré.
D'ailleurs, c'est pour combattre les idées reçues, que Jean-Marc Speziale a pensé ce cru avant tout comme un coup de gueule. « Je connais bon nombre de vignerons. J'ai conscience de leurs difficultés quotidiennes, et savoir
qu'on continue à associer les vins de notre région à de la "bibine", ça me hérisse ». Il évoque aussi son père, Amédé, mineur de fond. « Je l'ai vu trimer toute sa vie alors je comprends ce que travailler la terre, avec ses aléas, veut dire ». Les dernières grêles tombées dans l'arrière-pays le confortent dans sa position : « Certains ont perdu plus de la moitié de leur récolte. Ça me révolte ».
Le restaurateur n'a pas cherché midi à quatorze heures pour faire la nique à la persistante mauvaise réputation des vins du Languedoc-Roussillon qu'il juge infondée. « Ces préjugés commencent à disparaître, mais ils ont la dent dure . Pourtant chaque année, grâce au talent de nos viticulteurs, nos vins s'améliorent. » Jean-Marc n'a pas lésiné sur les moyens pour financer intégralement son projet. « L'étiquette est peut-être un gag, mais le contenant et surtout le contenu, eux, ne le sont pas », explique-t-il. Bouchons en liège, bouteilles bordelaises lourdes, impression en or à chaud... bref, le restaurateur s'est plus endetté qu'il ne s'est enrichi. « Je ne cherche pas à faire de l'argent. Que ce soit bien clair. Je m'inscris en soutien sans faille à notre viticulture ».
Jean-Marc Speziale a toutefois déposé son odorante appellation à l'institut national de la propriété. Et édulcoré de quelques mouches - à merde - l'étiquette et la collerette de ses quelque 5 000 bouteilles produites. Ecrit le texte tout en finesse de la contre-étiquette. Sans oublier de préciser : "Le pire... cache le meilleur".
Pour mener à bien son affaire, il s'est octroyé les services d'un ami oenologue, Walter Vadaguier. Au début sceptique, ce proche des vignerons a vite compris qu'il ne fallait pas voir dans l'utilisation du mot de Cambronne un coup de pub, mais une réelle volonté de taper du poing sur la table. Il a alors élaboré un rouge de syrah et grenache noir, millésimé 2007, issu de petites parcelles en lutte raisonnée, soumises au ramassage manuel en caissette de 20 kg. Même rituel pour le rosé. « On n'a pas le droit de faire de l'à-peu-près ». Mis en bouteille le 16 juillet, "Le vin de merde" a été commercialisé deux jours après. Dans dix points de vente pour l'instant. Dont le restaurant de son concepteur. Jean-Marc Speziale et Walter Vadaguier ne comptent pas s'arrêter en si bon chemin. Ils envisagent de se pencher sur un blanc.
Côté public, « une fois la surprise passée, on en redemande ». Chez les vignerons, l'accueil est plus mitigé. « Il y a ceux qui adhèrent et comprennent la démarche. D'autres qui bloquent encore sur l'étiquette. » Décidément.
Bouteille au prix de 6,5 €. Contact : Jean-Marc Speziale, La terrasse à Aniane, au 06 11 52 73 94. la.terrasse.jm@free.fr