Le pain maudit.Pont Saint-Esprit n’a jamais oublié : cinq morts, des dizaines d’internés psychiatriques et des centaines d’intoxiqués à des degrés variés.
Dans les jours qui suivent le 15 août 1951, les habitants de Pont-Saint-Esprit sont frappés d’un mal étrange, dont l’origine n’a jamais été identifiée.
Un passé qui ressurgit à la faveur d’un livre paru aux Etats-Unis il y a trois mois. Dans « A Terrible Mistake », Hank Albarelli, journaliste indépendant, est formel : c’est la CIA qui a plongé Pont-Saint-Esprit dans l’hystérie, testant secrètement les effets du LSD, une drogue hallucinogène, sur la population.
La thèse est séduisante au regard des scènes dantesques vécues cet été-là. « Ne me touchez pas, je suis une torche enflammée », vocifère l’un des « possédés ». Une autre voit « des bêtes immondes, cauchemardesques » dans ses délires. Un chat fait « des bons qui atteignent le plafond de la pièce ». L’épicier du village, lui, « recompte pendant des semaines les perles du rideau de son entrée », décrit l’historien américain Steven Kaplan dans son ouvrage « le Pain Maudit », paru en 2008. La seule certitude est là : toutes les victimes ont consommé le même pain, celui de Roch Briand, le meilleur boulanger du village.
Pour le reste, les hypothèses s’évaporent à l’époque au gré d’une enquête dont l’objectif premier semble d’étouffer l’affaire. Soupçonné, l’ergot de seigle, un parasite naturel dont le LSD est la version synthétisée en laboratoire, est finalement dédouané, laissant, depuis, le champ des interprétations ouvert. Jusqu’aux « révélations » de Hank Albarelli. « Mon livre traite de la mort de Franck Olson, un chimiste de la CIA assassiné parce qu’il parlait trop, et notamment de Pont-Saint-Esprit », assène l’auteur. Il s’appuie sur des documents déclassifiés que nous avons pu consulter. S’ils ne sont pas déterminants, ils mentionnent effectivement « l’incident de Pont-Saint-Esprit », évoqué notamment dans une conversation entre un agent de la CIA et un scientifique du laboratoire suisse Sandoz. Sandoz, où travaille le chimiste Albert Hoffman, le découvreur du LSD. Sandoz, encore, qui fournit alors en LSD la CIA dans le cadre des recherches effectuées par l’agence sur ce qui deviendra « l’acide » des hippies.
Pour Albarelli, l’opération du Gard s’appelait « MK/Naomi » et aurait consisté, après une pulvérisation aérienne sans effets, à faire ingérer le LSD aux habitants, peut-être via le pain. Sur place, les intéressés sont sceptiques. « Ça ressemble trop à un film », grommelle Luc, cigarillo au coin de la bouche. « C’est encore plus gros que gros », lâche Linda, qui habite l’ancienne boulangerie Briand, où le four à pain, conservé au sous-sol, semble avoir été arrêté la veille. « Quand j’étais petite, ça nous terrorisait, reprend Linda. Mais il n’y a pas de fantômes ici ! »
« Si ça peut aider à innocenter le boulanger, moi, ça me fait plaisir, commente Monique, la patronne du PMU, âgée de 16 ans en 1951. Maintenant, il faut des preuves. » Les preuves, c’est justement ce qui fait défaut à la thèse d’Albarelli, selon Steven Kaplan. « Tout ce que je vois dans ces documents, c’est que la CIA s’intéresse à ce qui se déroule à Pont-Saint-Esprit. Mais dans le contexte de la guerre froide, où chaque camp mène des expériences, c’est logique. Et puis, politiquement, je n’imagine pas les Etats-Unis prendre le risque de faire ça en France, d’autant que la CIA a prouvé qu’elle pouvait faire ce genre de tests sur son territoire. » Le mystère de Pont-Saint-Esprit resterait donc entier.
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