On a trouvé de l'eau sur la Lune !La Lune n'est pas sèche. Sa surface recèle des milliards de milliards de molécules d'eau...
La Lune n'est pas sèche. Sa surface recèle des milliards de milliards de molécules d'eau ! Elles se nichent juste à la surface, sur un millimètre d'épaisseur environ. De quoi récolter... un demi-litre par terrain de football. Il y aurait donc - le conditionnel ne portant que sur la quantité précise - quelques milliards de litres d'eau sur l'astre de la nuit.
C'est la découverte incroyable qu'annonce la NASA. Elle est publiée demain dans une série de trois articles scientifiques de la revue Science.
La recherche d'eau sur la Lune constitue l'un des sujets favoris des planétologues, des ingénieurs du spatial, des astronautes et des auteurs de Science-Fiction. Logique. Car si la présence ou l'absence d'eau joue un rôle considérable dans les destins des corps céleste, ce n'est pas pour rien qu'on a baptisé H20 la molécule de la vie. Sans eau, pas de vie. Occuper la Lune, ou s'en servir de base pour explorer le système solaire, avec de premiers vols vers Mars, suppose d'avoir résolu le problème de l'eau. Si possible sans se tourner vers la pire des solutions : l'acheminer depuis le fond du puit gravitationnel terrestre à l'aide de fusées.
Donc, l'eau lunaire fait fantasmer. Le capitaine Haddock et Tintin en ont trouvé sur l'astre. Heinlein (Révolte sur la Lune) et d'autres auteurs de S-F l'ont utilisé pour coloniser la Lune. Mais...
Mais les roches rapportées par les astronautes des missions Apollo n'ont jamais montré la moindre trace d'eau. Mais les radars terrestres comme les sondes lunaires - Clementine en 1994 (Nasa), Lunar Prospector (Nasa), en ou Smart One (Esa) - ont parfois laissé croire aux scientifiques qu'ils avaient déniché de l'eau, sous forme de glace mêlée au sous-sol, mais à chaque fois l'espoir s'évanouissait. Deux sondes viennent, enfin, d'en trouver de manière fiable : l'indienne Chandrayaan et surtout la sonde Deep Impact de la Nasa. Ironie de la recherche : cette dernière a été envoyée dans l'espace pour observer... le bombardement d'une comète !
A propos de bombardement : c'est le 9 octobre que la Nasa va envoyer l'impacteur de la sonde LRO au fond d'un cratère afin de voir si... il ne s'y cache pas de la glace. LRO - Lunar reconnaissance orbiter - qui a commencé son travail de cartographie hyper précise de l'astre.
La sonde indienne Chandrayaan, lancée en octobre 2008, a permis à l'Inde de poser sa marque sur le sol lunaire avec l'arrivée, brutale, d'un impacteur. Depuis novembre 2008, ses instruments scrutent l'astre. L'un d'entre eux, le Moon mineralogy mapper, fourni par le JPL, le célèbre jet Propulsion laboratory de la Nasa instalé à Pasadena (Californie), a fait sursauter ses scientifiques. Son spectrometre infrarouge, en dressant une carte de la Lune, détecte des émissions typiques de deux molécules, OH et H2O. Une émission diffuse sur l'astre, mais plus intense vers les zones les plus froides (pôles et fonds de cratères mal éclairés). De quoi faire entonner des chants de joie dans les labos.
Mais le spectromètre de MMM s'arrête pile poil à 3 microns. Or, pour en avoir le coeur plus net, éliminer tout risque d'artefact instrumental et distinguer entre les deux molécules, il fallait un spectromètre infrarouge allant au delà de 3 microns de longueur d'onde afin de bien encadrer l'émission typique de la seule molécule H20 entre 2,8 et 3,6 microns... justement le cas de celui de la sonde Deep Impact. Chance incroyable, cette dernière, après son opération "Je bombarde une comète et je prend une photo" qui fit la Une de Libération le 4 juillet 2005, passe pas trop loin de la Lune - 6 millions de kilomètres tout de même, en mai dernier. Chance aussi : le monde des planétologues n'est pas immense. Ainsi, l'astrophysicienne Jessica Sunshine fait partie de l'équipe scientifique de MMM... et de celle de Deep Impact. Autant dire que la jonction s'opère illico presto.
«Mon premier mail sur cette affaire date de début mai» me raconte Olivier Groussin, du laboratoire d'astrophysique de Marseille (INSU/CNRS, Université de Provence), qui fait partie de l'équipe scientifique de Deep Impact depuis plusieurs années. Il a participé à l'opération bombardement de comète. Et maintenant oeuvre dans le cadre du prolongement de la mission, baptisé EPOXY dont l'objectif est le survol de la comète 103P/Hartley 2, en novembre 2010. «Nous devions de toute façon faire des observations de la Lune, surtout pour vérifier le fonctionnement des instruments, mais nous avons modifié le programme pour obtenir le maximum d'informations avec le spectromètre infrarouge.»
Le résultat fut, insiste t-il, «sans ambiguité». En anglais, le terme utilisé par les scientifiques dans leurs articles est «strong evidence». Surtout qu'un troisième instrument spatial... l'avait déjà vu ! Eh oui, lorsqu'une sonde interplanétaire quitte la Terre pour aller visiter Jupiter ou Saturne, on profite de la proximité de la Lune pour tester les instruments au début du voyage. Ainsi, lorsque la sonde Cassini est partie vers Saturne, en 1997, elle a fait plusieurs détours, dont l'un pas loin de la Lune en 1999. Et là, son spectrometre infrarouge avait détecté des traces d'eau. Mais ce n'est qu'après la découverte de Chandrayaan que l'on est allé vérifié ces données. Ironie aussi, de se rendre compte que chaque fois que l'on a envoyé dans l'espace un télescope embarquant un détecteur à infrarouge précis et disposant de la bonne couverture spectrale (IRAS, ISO, Spitzer)... les astrophysiciens ont surtout programmé les télescopes pour ne pas observer la Lune. Pourquoi ? Tout simplement parce que la Lune aurait tout simplement ébloui le télescope, saturant le détecteur et interdisant toute analyse.
La physique connue le leur dit avec certitude : il y a de l'eau. Mais combien, et surtout, comment est-elle arrivée là ? C'est là que commencent les conditionnels.
Combien ? Olivier Groussin a accepté de se livrer à des calculs qui ne sont pas dans les articles. Et qui donnent des résultats à prendre comme des ordres de grandeur car les incertitudes des mesures sont importantes. Donc : «environ 1 litre d'eau pour 10.000 mètres carrés, ou pour être plus visuel 0.5 litre par terrain de foot. Extrapolé à la surface de la Lune, cela veut dire environ 4 milliards de litres d'eau, soit un volume équivalent de quelques millions de mètres cubes.»
Comment est-elle arrivée là ? Les planétologues ne peuvent pour l'instant qu'avancer la seule hypothèse plausible, compatible avec la physique et la chimie connues. Ce sont les protons du vent solaire (rien à voir avec le vent d'ici, ce sont des particules électriquement chargées, surtout des protons) qui seraient à l'origine de cette eau. Un proton, c'est un ion hydrogène, c'est à dire un atome d'hydrogène privé de son électron. Quand ce proton frappe le sol lunaire, il peut y dissocier des atomes d'oxygène dont certains sont donc libres de se recombiner avec lui. Le processus formerait des atomes OH (hydroxyle) et... H20, de l'eau. L'image ci-contre illustre cette idée. Après sa formation, la molécule d'eau est adsorbée (faiblement fixée à la surface) sur les poussières. Mais cette molécule d'eau n'est pas éternelle. Si la température au sol s'élève assez pour qu'elle se désadsorbe, les photons du Soleil vont alors la dissocier. Le processus n'est donc pas cumulatif.
Cette explication plausible ne s'appuie pas seulement sur la physique et la chimie. Mais aussi sur les répartitions spatio-temporelles enregistrées par Deep Impact. Ainsi, il n'ya quasiment pas d'eau à l'équateur et on en trouve de plus en plus en allant vers les pôles. En outre, on trouve le même gradient... dans la «journée» lunaire. Il y a plus de formation d'eau le matin et le soir, et plus de destruction sous le soleil de midi - le processus est illustré par l'image ci-contre.
Pourtant, souligne Olivier Groussin, il faut souligner que «si la présence d'eau semble solidement établie, mais le processus de sa formation, et de sa destruction, comme d'une éventuelle migration, relève de l'hypothèse et doit être mis au conditionnel, même si nous n'avons pour l'instant aucune alternative à y opposer».
Les astronautes peuvent-ils espérer boire cette eau ? En théorie, pourquoi pas. Pour la récupérer, il "suffit" de chauffer le sol lunaire tous les matins, et de récupérer les molécules d'eau qui vont alors s'en détacher. Facile à dire... Il s'agit probablement d'une bonne "manip" de terrain pour une future mission, sur des dimensions minuscules, mais quasi impossible à faire à grande échelle. En outre, avec un demi litre par terrain de football ainsi traité, on ne va pa loin.
Bref, il est probable que la Nasa va se servir de cette découverte pour alimenter son discours prophétique sur la "Nouvelle Frontière", et ses demandes de crédits pour les vols habités, mais il est plus raisonnable de penser que, si les astronautes retournent sur la Lune, ce sera avec quelques bouteilles d"eau bien de chez nous.... et un système de recyclage de leurs eaux usées et urines. Désolé pour le côté pas glamour du tout... mais plus réaliste.
Il est assez drôle de noter que la Nasa et la revue Science avait imposé un embargo jusqu'à 20h ce soir (heure de Paris), pour une conférence de presse des scientifiques américains. Mais le site internet de La Provence, probablement peu familier du respect que les journalistes scientifiques accordent aux embargos, a sorti le sujet hier soir, grillant tout le monde. Ce matin, un courriel de la revue Science envoyés aux journalistes accrédités auprès de la revue m'informait que, du coup, elle faisait sauter l'embargo...
http://www.liberation.fr/sciences/0101593071-on-a-trouve-de-l-eau-sur-la-lune